August Kitzberg 

Issu d’une famille paysanne pauvre, AUGUST KITZBERG (1855-1927) passa son enfance dans l’école de village dirigée par son frère, où il put, grâce à la bibliothèque de celui-ci, cultiver son intérêt pour la littérature. Il commença à travailler à l’âge de seize ans et occupa différents emplois de fonctionnaire communal. En 1893, lorsque le russe devint la langue de l’administration, il fut contraint d’abandonner ses fonctions en raison de sa connaissance insuffisante de cette langue. Il travailla alors comme employé de bureau à Viljandi, puis en Lettonie (notamment à Riga). En 1901, il retourna s’installer en Estonie, à Tartu, qui était alors le centre de la vie culturelle estonienne. Après avoir travaillé quelque temps au secrétariat du journal Postimees, il entra à la Société des hypothèques de la ville, où il resta jusqu’à sa retraite en 1920.

Jusqu’aux premières années du XXe siècle, Kitzberg écrit principalement des nouvelles et des comédies qui décrivent le milieu paysan du sud-ouest de l’Estonie. Si le texte qui le fait connaître, Maimu (1892), est un récit historique à dominante romantique, ses œuvres suivantes manifestent plutôt un réalisme bon enfant. La critique sociale n’y est pas absente, mais elle est toujours traitée sur un mode humoristique qui en relativise quelque peu la portée. Ses nouvelles, publiées dans la presse, ne seront regroupées en recueil  que beaucoup plus tard (Histoires villageoises, vol. 1 à 5, 1915-1921). C’est surtout comme dramaturge que Kitzberg rencontre un réel succès populaire : ses trois comédies villageoises (Punga Mart et Uba-Kaarel, 1894 ; Le testament de Pila-Peeter, 1897 ; Le tailleur Õhk, 1903), divertissantes et sans prétention, sont parfaitement adaptées aux troupes d’amateurs et au public devant lequel elles se produisent. Elles suffisent à faire de Kitzberg l’auteur de théâtre le plus joué en Estonie à cette époque.

Après son installation à Tartu, il noue des relations privilégiées avec la première troupe professionnelle d’Estonie, le théâtre Vanemuine, fondé en 1905 et dirigé par Karl Menning, qui a étudié la mise en scène à Berlin. Sa collaboration avec Menning, qui lit, critique et corrige ses manuscrits, permet à Kitzberg d’écrire des pièces plus ambitieuses et  rigoureusement construites. L’influence des écrivains réalistes estoniens (Eduard Vilde et Ernst Peterson-Särgava) le conduit en outre à approfondir sa critique sociale. S’il continue à cultiver avec un certain bonheur sa veine humoristique, ses trois chefs-d’œuvre présentent une tonalité plus grave.

L’action de Au cœur du tourbillon (1906) se situe dans la campagne estonienne pendant la révolution de 1905. Le fil principal de l’intrigue est constitué par la rivalité amoureuse entre un riche paysan, Kaarel, et un ouvrier agricole, Jaan, qui lutte également pour récupérer la ferme parentale dont il a été dépossédé. Jaan justifie son combat personnel par des arguments révolutionnaires et finit par tuer son ennemi et sa bien-aimée. Ce drame essentiellement psychologique offre également une bonne illustration des conflits sociaux qui déchiraient à cette époque la campagne estonienne. Mais si la sympathie de l’auteur semble d’abord aller à Jaan, la fin de la pièce le présente comme la victime de ses passions et d’idéaux essentiellement destructeurs.

Dans sa tragédie Le loup-garou (1912), Kitzberg décrit l’affrontement de deux conceptions de la vie, incarnées par deux personnages féminins : Tiina, l’orpheline, vive, passionnée, éprise d’indépendance et de liberté, et Mari, jeune fille terne et soumise, en parfait accord avec la mentalité paysanne dominante à l’époque du servage. Tiina est aimée de Margus, le fils de sa famille d’adoption, mais les parents du jeune homme s’opposent au mariage, car Tiina leur apparaît physiquement et moralement trop différente d’eux. Poussée par la jalousie, Mari fait courir avec succès la rumeur que Tiina est un loup-garou. Rejetée par tous et déçue par l’indécision de Margus, Tiina s’enfuit pour aller vivre dans la forêt. Plusieurs années plus tard, elle est tuée accidentellement par Margus, qui  l’a prise pour un loup. Classique le plus célèbre du théâtre estonien, Le loup-garou a également été représenté dans d’autres pays d’Europe (Finlande, Hongrie, Italie, Ukraine, Lituanie, Lettonie).

Le drame Le dieu du porte-monnaie (1915) a pour personnage central un paysan riche et arrogant, cynique et brutal avec ses semblables, qui finit par être puni par le destin : la foudre détruit sa ferme et il perd la raison.

Principal dramaturge estonien de son temps, Kitzberg a joué un rôle essentiel dans le développement du théâtre national, qu’il a contribué à faire passer du stade de la comédie de village à celui du drame moderne, psychologiquement motivé et riche de significations.

A.C.