Juhan LIIV
 


 

AI-JE RÊVÉ DE L’ESTONIE ?

Ai-je rêvé de l’Estonie ?
J’ai vu des bateaux sur la houle,
Des côtes riches et fertiles,
La mer autour qui s’y enroule.

Mais non, ce n’était pas un rêve ;
C’était vrai : j’ai vu cette image,
J’ai ressenti douleur et peine,
Si fort qu’a pâli mon visage.

Lève-toi, peuple de douleur,
Remonte du val de la mort,
Cherche la voie, fleuve de vie,
Qui te conduira vers la mer.

Voir le texte estonien
 
 


 

SOLITUDE HIVERNALE DU POÈTE

La neige tournoie et je chante
Une triste chansonnette,
Neige emportée par les rafales,
Et mon cœur par la douleur.

La neige tournoie et je chante
Une triste chansonnette,
Neige s’amasse au bord du clos,
Et douleur dedans mon cœur.

La neige tournoie et je chante
Une triste chansonnette,
Jusqu’au jour où recouvriront
Mon tombeau glaces et neiges.

Voir le texte estonien
 
 


 

AUTOMNE

Détachée d’un bouleau
Auprès du portail,
Une petite feuille
Tombe en frissonnant.

Je regarde le bois :
Automne épuisé !
Je regarde le ciel :
Nuage feutré !

Mon esprit, mes pensées :
Pareils à la feuille,
Au nuage chagrin,
Aux arbres jaunis !

Voir le texte estonien
 
 


 

SUR L’EAU

Petit bateau
Vogue sur l’eau,
Vogue sur l’eau
Et sur les vagues.

Comme un beau cygne
S’en va sur l’eau,
S’en va sur l’eau
Et sur les vagues.

Mon bel amour,
Mon tendre amour
Parti sur l’eau
Et sur les vagues.

Mon bel amour,
Mon tendre amour,
Là-bas sur l’eau
Et sur les vagues.

Mon œil au loin
Passe sur l’eau,
Passe sur l’eau
Et sur les vagues.

Oui mais la vague
Ne me dit mot,
Se tait sur l’eau
Et sur les vagues.

Vague par ci,
Vague par là,
Un bruit sur l’eau
Et sur les vagues.

Voir le texte estonien
 
 


 

LE BRUIT

Quand je n’étais qu’un tout petit enfant
J’avais dans la poitrine un tintement.

Et lentement, comme je grandissais,
Le bruit au fond de moi se renforçait.

Aujourd’hui ce bruit m’a presque enterré,
Ma poitrine sous lui s’est effondrée.

Il est devenu mon âme et ma vie,
Se sent à l’étroit dans ce monde-ci.

Voir le texte estonien
 
 


 

LE VOYAGEUR

Il neigeait. Errant sans travail,
Je cheminais depuis la ville. —
Il neigeait. Jambes harassées.
Et la faim qui me tenaillait.

Point de chemin ni de lumière.
Le soir était bien avancé.
Soudain, enfin, un petit feu
Qui vacillait dans le lointain !

J’ai frappé et l’on m’a ouvert
Aimablement ; je suis entré.
La fille a sorti de son four
Du pain chaud — imaginez-vous !

Parfum si doux, cabane chaude. —
Mon ventre affamé. — « Voulez-vous
Visiteur, un peu de pain chaud. »
Elle m’en a coupé un bout.

Un large morceau de pain noir.
Comme il était délicieux !
Son cœur aussi chaud que son pain,
Mon hôtesse douce et tranquille.

« D’où viens-tu donc, et où vas-tu ?
Es-tu marié, étranger ? »
Je viens de là, je vais là-bas,
Je suis un pauvre voyageur.

« Combien as-tu de sœurs, de frères ?
Tes parents vivent-ils encore ? »
Je suis tout seul ! Ô vie amère !
Les miens ne sont plus de ce monde.

« Petit-petit, petit-petit —
Le plus dodu deviendra coq.
J’ai là quatre petits poussins :
Nos voix les auront réveillés… »

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Traduit de l'estonien par Antoine Chalvin