Karl Ristikivi : La dernière forteresse
(Viimne linn, 1962)

Par Eva TOULOUZE

 
    Élément central de la trilogie des chroniques, ce roman en est également le plus complexe et le plus synthétique. La dernière forteresse, c’est Saint-Jean d’Accre, perdue par les Chrétiens en 1291, où se noue l’amitié entre deux Chevaliers du Temple, Guillaume de Montpervier et Roger de Tressalin. C’est ce dernier qui, dans ses vieux jours, raconte ses souvenirs alors que son compagnon attend sa dernière heure dans les geôles de Philippe le Bel. Ce fils d’un chevalier franc d’Athènes parcourt le monde grec, avant de mettre son épée au service des croisés. Admis dans l’Ordre des Templiers, il retrouve à Saint-Jean d’Accre son ancien rival, Guillaume de Montpervier.
    Nous suivons ainsi la vie de l’ordre et les préoccupations des Chrétiens de Terre Sainte. Incapables de s’allier contre un péril commun, ils sont une proie de plus en plus facile pour les musulmans. Saint-Jean d’Accre est le dernier bastion de la Chrétienté en Palestine. Roger de Tressalin, exclu de l’ordre des Templiers, mènera le dernier combat avec les Frères Hospitaliers, l’autre grand Ordre combattant de Terre Sainte. La situation est désespérée. Que faire ? Lutter, partir, rester, s’incliner ? Et une question lancinante: est-ce que la cause est juste ? L’épée est-elle véritablement la meilleure arme des Chrétiens ?
    Roman d’une problématique plus que d’un héros, il dépeint la fin d’un monde, et laisse entendre que la fin d’un monde n’est pas la fin du monde. Tout n’est pas vain, même si l’issue n’est pas perceptible... D’ailleurs, demande Ristikivi, n’est-ce pas en nous qu’elle se trouve, cette dernière forteresse pour laquelle il vaut la peine de combattre ? Nous ne manquons pas ici de percevoir la blessure et les méditations de l’écrivain exilé et condamné à ne plus revoir son pays.