Résumé
Un soir de 31 décembre, le narrateur erre dans les rues d'une grande ville, étranger à la foule en liesse qui déambule autour de lui. Ses pas le conduisent dans une rue déserte où il aperçoit une porte ouverte donnant sur le hall illuminé d'une maison. Croyant avoir affaire à une salle de concert, il entre, laisse son manteau au vestiaire et pénètre dans une pièce où des gens en tenue de soirée écoutent un concerto pour piano. Une jeune fille se dirige bientôt vers lui et lui adresse la parole comme si elle le connaissait depuis longtemps. Elle lui annonce que « Olle » lattend et lui demande de la suivre
Ainsi commence la longue errance du narrateur dans cette maison mystérieuse au plan changeant, où le temps et l'espace semblent obéir à d'autres lois. Passant de pièce en pièce, croisant à plusieurs reprises des personnages énigmatiques qui se présentent à lui sous des noms et des apparences différents, il découvre peu à peu, au fil des conversations, qu'il se trouve dans la maison d'un mort. Son errance s'accompagne d'un sentiment croissant d'angoisse, d'étrangeté au monde qui l'entoure et de culpabilité, qui atteint son point culminant dans la découverte dramatique de la pièce centrale, où repose, dans un cercueil ouvert, la dépouille du maître de maison.
Cette première partie du roman, caractérisée par une ambiance intermédiaire entre Alice au Pays des Merveilles et Le loup des steppes, est suivie d'une courte lettre à une lectrice, où l'auteur, répondant aux critiques quon lui a faites, se retourne sur ce qu'il vient d'écrire et justifie ses partis-pris narratifs.
Dans la seconde partie, le narrateur, après être sorti de la chambre mortuaire par une porte où figurait la mention « Accès interdit aux étrangers », finit par être admis dans une salle d'audience où il assiste à un étrange procès. Comparaissent successivement six « témoins » (tous des personnages rencontrés précédemment dans la maison) qui sont en réalité traités comme des accusés. Chacun doit répondre d'un péché capital : orgueil, avarice, luxure, envie, gourmandise et colère, mais le narrateur a le sentiment que le véritable accusé de ce procès n'est autre que lui-même. De fait, c'est lui qu'on appelle à la barre pour témoigner du septième et dernier péché : la paresse. Coupable également de s'être introduit dans un monde auquel il n'appartient pas, il est condamné à être expulsé de la maison. Il quitte alors de lui-même la salle d'audience et trouve tout seul le chemin de la sortie, en traversant à nouveau la chambre mortuaire où le cercueil ouvert est à présent vide. Dehors, la nouvelle année vient de commencer.
Roman « surréaliste », « existentialiste », « irrationaliste », « évocation des problèmes de l'exil », « allégorie de la condition humaine » : on a tout dit ou presque de Hingede öö, uvre qui domine par sa complexité et sa singularité toute la littérature estonienne du XXe siècle. Roman d'une solitude, c'est aussi un roman solitaire, aussi bien dans l'uvre de son auteur que dans la littérature estonienne, où il n'a puisé aucun modèle et na inspiré aucune école, tant son rayonnement a été profond, définitif et inimitable. Le lecteur occidental, lui, est parfois gêné par certaines influences européennes trop nettement perceptibles (Kafka, Lewis Carroll, Hermann Hesse), d'ailleurs ouvertement reconnues et revendiquées par l'auteur. Cela n'enlève rien à la valeur et à la profondeur de ce roman, longue énigme métaphysique, déroutante, imparfaite, rebelle à tout système et à toute interprétation, mais fascinante de bout en bout par les images et les mystères qu'elle met en uvre.
A.C.