Poèmes

Traduits de l’estonien par Antoine Chalvin

depuis douze mois
il ne cesse de pleuvoir
les fleuves sont en crue
depuis douze mois
ou soixante ans
on ne distingue plus le jour de la nuit

on ne distingue plus la terre de la mer
derrière les pierres se cachent d’autres pierres
derrière les douleurs d’autres douleurs
point de rivage
rien que l’eau et le froid

et l’eau et l’eau et l’eau


frac

j’ai rencontré
belle comme
moche
mais entre mes yeux il y a
une longue
le bout
les racines
les branches
le soleil
entre mes yeux il y a

ture
 
dans la rue une fille
une héroïne
de film français
une fracture
ligne de sang
dans mon cœur
dans mes couilles
dans mon cerveau
vient sécher mon sang
une fracture





devant mes yeux on a placé des maisons
et contre mes oreilles il y a des enfants
          qui hurlent dans un hôpital
          et miment la santé
          mais jamais ne guériront
sous mes pieds on a glissé des routes
derrière moi des murs des ponts des cheminées
au-dessus de moi des avions des nuages du poison
et autour de tout
          morcelant tout
          façonnant tout
                   des barbelés
à l’intérieur de moi des barreaux me tourmentent
mais mon sang est libre
et maintenant je le laisse partir





la nuit où j’écris un poème
un vieil homme se perd
et ne rentre plus chez lui
la nuit où j’écris un poème
le dieu des chiens à tête de loup
s’élève vers le ciel dans un char sans roues
la nuit où j’écris un poème
Vello propose
au coin de la rue de la Gare et de la rue du Tilleul
son nouveau couteau à ceux qui le veulent
la nuit où j’écris un poème
la tour Eiffel frissonne
et tombent les derniers chAgAll
la nuit où j’écris un poème
Juliette en veut encore
mais Roméo ne peut plus
tout ne va donc pas pour le mieux
la nuit où j’écris un poème
ABBA se sépare
et les Beatles se retrouvent
la nuit où j’écris un poème
surgissent dans la pièce voisine
six vieilles femmes
aux longs cheveux gris mouillés par les larmes
elles pleurent et se lamentent et hurlent d’horribles chansons
mes jambes s’enfoncent jusqu’aux genoux dans
leurs larmes chassieuses
la nuit où j’écris un poème
je tremble de froid
je n’ai qu’un slip pour tout vêtement
et le vent souffle par la fenêtre
et le vent a ton visage
toi qui es loin
au-delà de hautes montagnes
dans une ville étrangère et ancienne
les sourcils noirs les yeux lascifs
la nuit où j’écris un poème
Mehis n’arrive pas à finir son histoire
et Albert Camus ne produit plus beaucoup
la nuit où j’écris un poème
un enfant s’agite dans son sommeil
et voit que je nique sa mère
la nuit où j’écris un poème
des taches bleues apparaissent sur mon cou
on trace un long trait rouge sur ma joue
et de chaudes gouttes de sang
tombent dans mes larmes
la nuit où j’écris un poème
il se passe tant de choses
on projette dans le ciel un film allemand
une tour se dresse au milieu de la rivière
la nuit où j’écris un poème
il arrive deux ou trois trucs
sur le pont de l’Amitié roule
une bite géante
depuis la rive où habite Margot
jusqu’à celle où je me trouve
et où j’écris un poème
lorsque la nuit est propice

c’est alors qu’arrivent DE TERRIBLES CHOSES
des autres points cardinaux