Les lointains bleus

     Au pied d’une colline se trouvait une maison. Il y en avait une autre derrière la colline. Mais elle était d’ordinaire inoccupée, depuis très longtemps déjà. Il se disait maintenant qu’un homme, un artiste, était venu y vivre. A la fin de l’été on le voyait peindre au sommet.
     De la première maison sortait une jeune femme portant une robe à fleurs neuve. Elle s’était mise en tête de monter voir le peintre. Il faisait très chaud.
     La femme s’assit dans l’herbe derrière l’artiste. Le dôme de la colline était entièrement couvert d’une herbe verte uniforme. De là on apercevait les lointains voilés de brumes bleues. Des bois et des vallées. Un pays de rêves, peut-être. L’on voyait une scène semblable sur la toile du peintre. Et c’était aussi beau que le panorama qu’offrait la réalité.
     La femme partit.
     Légère et lourde à la fois, elle descendit la pente abrupte de la colline. Le peintre ne pouvait s’empêcher de la suivre du regard, il voyait son corps svelte et gracile s’éloigner.
     Chez elle, la jeune femme alla s’asseoir à l’abri sous l’auvent à l’extrémité nord de la maison.
     En face d’elle, de l’autre côté de l’ancienne route, un garçon se balançait sur une balançoire accrochée à la voûte d’un porche. Derrière celui-ci, autrefois, se trouvait une maison de maître, un château, mais pour l’heure, il n’en restait plus rien. Ne subsistaient de l’ensemble architectural que la voûte du porche et une vingtaine de mètres de mûr de chaque côté, qui avaient résisté à la morsure du temps. Et il restait aussi l’angle d’un bâtiment de pierre derrière la clôture où l’on gardait désormais du bois de chauffage. Jusqu’à présent on passait par le portail, un sentier descendait entre les orties vers la rivière fraîche.
     Le garçon se balançait, la balançoire s’éreintait à crisser et grincer.
     Le garçon était le frère de la jeune femme. Il se balançait là, été comme hiver, printemps comme automne, toujours ; dès qu’il le pouvait, il venait.
     Parfois le garçon arrêtait la balançoire. Quand il entendait un bruit qui retenait son attention. Il venait d’entendre bêler des moutons derrière lui.
     Il se balançait face à la maison, celle de ses vacances. Il n’y avait aucun arbre devant lui. Et des deux côtés de la maison, il n’y avait pas d’arbres non plus. Comme dans une steppe. Le garçon voyait bien le peintre qui dessinait en haut de la colline.
     Quand les moutons furent passés – sans qu’il les ait vus – le garçon voulut recommencer à se balancer. Mais maintenant il percevait, venant de l’endroit où auparavant les animaux s’étaient fait entendre, un chant. Une voix d’enfant, une petite et douce voix de fille qui fredonnait un air languissant sans paroles ; au temps de la guerre on l’avait souvent chanté, maintenant on l’entendait aussi parfois à la radio, c’était un air connu de tous. Et il ne savait pas qui le chantait, était-ce une bergère qui avait trouvé ses bêtes perdues ? Le garçon resta immobile tout le temps où le chant retentit. Il l’écouta jusqu’à la fin. Alors il recommença à se balancer.
     Avant le premier septembre le garçon et sa sœur partirent pour la ville, l’école commençait. Ils descendirent par le sentier jusqu’à la rivière, passèrent parmi les bardanes et les scirpes puis traversèrent la passerelle. Ils regardèrent derrière eux. Le peintre peignait encore sur la colline. C’était un peintre de paysages qui avait dit qu’il irait à Paris pour l’hiver.
     De l’autre côté de la rivière, sur la lande sablonneuse, sous des grands pins solitaires et malmenés par le vent, se trouvait l’arrêt des cars. Là arrivait une fois par jour un autocar minuscule, il emmenait les gens à la ville la plus proche qui était petite. Mais de là, on pouvait aller plus loin et gagner des villes plus grandes. Par toutes sortes de transports. En train, par exemple. Il y avait beaucoup de bagages. Il en était toujours ainsi à la fin de l’été.

Traduit de l’estonien par Guillaume Gibert