Poèmes

Traduits de l’estonien par Antoine Chalvin

Hiver

L’hiver est un extrême qui se répète périodiquement.
Kaia Lehari

Cette année la ville est comme une boule à neige, mais sans neige. Quand je la secoue, aucun tourbillon de flocons ne s’élève au-dessus des toits, aucune couverture glacée ne se déploie sur les maisons. Elle n’est plus qu’un globe de verre rempli d’eau froide, sans joie, comme un enfant dont le monde a perdu sa magie, car celle-ci a fondu comme un flocon dans sa petite main chaude. Dans cette ville mouillée, à quatre heures de l’après-midi, je rentre lentement chez moi, il fait sombre, il bruine, et dans les flaques d’eau scintillent les lumières des lampadaires, jaunes comme les iris du harfang des neiges. Demain, c’est le solstice d’hiver. Les marathons de ski sont annulés, les enfants ne font pas de luge sur la pente de Kassitoome. Les chansons qu’on entend dans les centres commerciaux parlent de Noël blanc, mais elles paraissent soudain étranges comme des mammifères fossiles, ceux que l’on trouvera ici dans quelques millions d’années, quand nul ne se souviendra plus de moi.

  


 

escalier

en descendant l’escalier je suis
toujours en avance d’un pas
sur moi-même. la contradiction entre le mobile et le mouvement
 
est irréconciliable : pourquoi tout devrait-il rester inchangé ?
pourquoi quelque chose devrait-il se renouveler en se modifiant ?
 
les choix
 
conduisant à la réalisation de l’une ou l’autre possibilité
sont comme des pots de confiture alignés sur des étagères, si semblables 
et pourtant si différents.
 
ici les choses devraient être immuables
et pourtant : les cheveux blancs ébouriffés des pommes de terre germées
 
un squelette de souris biscornu au pied du mur
en forme de demi-lune. il y a toujours quelque chose qui pousse
toujours quelque chose qui se réduit.
 
l’avenir humide qui monte du sol de pierres
grimpe le long de mes chevilles, de plus en plus haut, puis s’écoule 
dans mes bottes en caoutchouc. devine
 
ce que c’est : du liquide amniotique 
ou le déluge ?