Poèmes (bilingues)

Traduits de l’estonien par Antoine Chalvin
 

Luuletus on nagu ilmateade.
Mida täpsem,
seda õnnelikumad me oleme
ilusa päeva ootuses,
mida täpsem,
seda kurvemad me oleme
mõeldes uuele pimedale päevale.

Ilmateates on alati ilus tüdruk,
kes naeratades
lõpetab igasuguse lootuse

sõita randa piknikule.

(Cherche la femme
on alati ka
recherche la femme)

Ilmateates on unistused
New Yorkist,
Puerto Ricost,
kasvõi Hispaaniast või Egiptusestki.

Luuletus on ilma teade,
maailma teade
ja teadaand maailmale,

et me pole veel andnud alla.

Un poème est comme un bulletin météo.
Plus il est précis,
plus nous sommes heureux
dans l’attente d’une belle journée,
plus il est précis,
plus nous sommes tristes 
en pensant au nouveau jour sombre.

Dans le bulletin météo il y a toujours une jolie fille,
qui met fin en souriant 
à tous les espoirs

d’aller faire un pique-nique sur la plage.

(Cherche la femme
est toujours aussi
recherche la femme)

Dans le bulletin météo il y a des rêves
de New York,
de Puerto Rico,
et même d’Espagne ou d’Égypte.

Un poème est un message du temps,
un message du monde 
et l’annonce au monde 

que nous n’avons pas encore renoncé.


MIS SEAL RÄÄKIDA
Ta avastab, ühel õhtul vannis,
et munadel kasvavad karvad,
ning jalgadel
ja kaenla all.
Aga kuidas ta sellest kellelegi räägib

Ta avastab, ühel päeval koolis,
et paralleelklassis on tüdruk kes …
ja et see tüdruk …
ja kui ta …
Aga kuidas ta sellest kellelegi räägib.

Ta avastab, ühel hommikul peegli ees,
et enam ei matki isa,
vaid on ise,
ja samasugune.
Aga kuidas ta sellest kellelegi räägib.

Avastab, ühel öösel voodis,
unetuna lage vahtides,
et kurat,
kõik sõbrad on surnud.
Aga kuidas ta sellest kellelegi räägib.

Sest kuidas ta kellelegi räägib,
et on mees,
et on karvane,
armunud, isa, või surelik.
Mis seal rääkida.
Kõige tähtsamad hetked elus
kaovad vaikusse.

Nagu sinagi.

Mis seal rääkida.

QUE PEUT-ON DIRE
Un soir dans son bain il découvre
que des poils poussent sur ses couilles
et sur ses jambes
et sous ses bras.
Mais comment le dire à quelqu’un.

Un jour à l’école il découvre
que dans l’autre classe il y a une fille qui…
et que cette fille…
et lorsqu’elle…
Mais comment le dire à quelqu’un.

Un matin devant la glace il découvre
qu’il n’imite plus son père,
mais qu’il est lui-même
et semblable à lui.
Mais comment le dire à quelqu’un.

Une nuit dans son lit il découvre,
en fixant le plafond sans pouvoir dormir,
que putain
tous ses amis sont morts.
Mais comment le dire à quelqu’un.

Car comment dire à quelqu’un
qu’on est un homme,
poilu,
amoureux, père, mortel.
Que peut-on dire.
Les moments de vie les plus importants
s’effacent dans le silence.

Comme toi.

Que peut-on dire.


nad vaatasid päikesesse
kordagi unustamata
et elu on selle pelga mummu
õrnkare tuumareaktsioon

võibolla parim yllam
ja kangelaslikum on
et pojad vennad
õed ja tytred
hoolimata kõigest
ennast ära ei tapnud

kuigi põhjust oli kyllaga
ja põhjust anti
ei hoolinud nad
kulunud mantlist
katkistest kingadest
katkistest kirgedest

vaprust nõuab
igal hommikul
hyyda elu enese
pärisosaks

ils regardaient le soleil 
sans jamais oublier que la vie
est la réaction nucléaire fragile et rugueuse
de cette seule boule

peut-être que le mieux le plus noble
et le plus héroïque est
que les fils les frères 
les sœurs et les filles
malgré tout
ne se sont pas donné la mort

bien qu’il eussent des raisons
qu’on leur eût donné des raisons
ils n’ont pas attaché d’importance
au manteau usé 
aux chaussures trouées 
aux passions brisées 

il faut bien du courage
chaque matin
pour faire de la vie
son héritage


võim on võim
ja enamasti mujal
nõukogude või eesti
elame nagu saame
ja oskame

mõtlen et vannituba
kogu elamine
muuhulgas ka elu
on sinu hambaharjata
tyhi mis tyhi

aga mitte kes on ehk oli
tookord rahandusminister
kui sa oma harja ostsid
niikuinii undab pungas tuul

kõigile maailma myntidele
on graveeritud
igav liiv ja tyhi väli
ja meie nägu esiplaanil

le pouvoir est le pouvoir 
et le plus souvent il est ailleurs
soviétique ou estonien
nous vivons comme nous pouvons
comme nous savons

je me dis que la salle de bains
tout l’appartement
et d’ailleurs la vie aussi
sont vides si vides 
sans ta brosse à dents

mais pas celui qui est ou était 
ministre des Finances
quand tu as acheté ta brosse
le vent bourgeonnant siffle quoi qu’il en soit

sur toutes les monnaies du monde
est gravé 
sable ennuyeux et champ désert
et notre face au premier plan