Voyage à Riga

(Extrait des Voyages d’Arvid Silber, 1984)

     Karl Beuve, conseiller en chef à l’Institut de physique théorique, téléphona un jour à son ami Arvid Silber pour lui demander de passer chez lui dans les plus brefs délais :
     « Tu sais, lui dit-il, ce n’est pas quelque chose dont ont peut parler au téléphone. Les lignes se croisent, n’importe qui pourrait entendre, et même se mêler à la conversation. »
     Arvid émit un long grognement bourru, puis lâcha sur un ton sentencieux :
     « Dans la vie, il faudrait avoir comme principe de ne rien dire ni faire que l’on n’ose revendiquer devant tout le monde.
     — Il ne s’agit pas de ça. Je crois simplement que notre conversation nous obligera à entrer dans de telles subtilités psychologiques qu’il est indispensable que nous nous voyons. Ce bourdonnement vespéral à travers les longs câbles souterrains a beau être des plus intimes, il ne permet malheureusement pas aux êtres de dévoiler le plus profond d’eux-mêmes. »
     Après une pause fort expressive, on entendit à l’autre bout du fil : 
     « Bon, j’arrive. Mais tes explications ne me paraissent pas très convaincantes. »
     Nous pouvons imaginer qu’Arvid, qui avait déjà dû passer de confortables vêtements d’intérieur, entreprit en soupirant de se glisser dans sa peau de représentation, conscient d’endosser à nouveau un rôle dont il avait pourtant le droit de se libérer le soir venu.
     Avant de partir, il griffonna sur un papier qui traînait sur son bureau :
     « 19 h 20. Je pars chez Toï. »
     Il ne comprenait pas la raison de son geste. Il vivait seul et personne ne viendrait lire ce message. C’était d’autant plus improbable qu’il ferma à clef la porte de son appartement. Toï était le surnom que l’on donnait autrefois à Karl Beuve à l’école. Bien rares étaient ceux qui s’en souvenaient encore.
     Lorsqu’Arvid entra, Karl ne se montra pas particulièrement réjoui, ni même ému. Il fit asseoir son ami dans son fauteuil recouvert de peluche et dit :
     « Je ne te propose pas d’alcool, tu as un voyage difficile devant toi.
     — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? s’étonna son invité.
     — Nous n’avons pas beaucoup de temps. Je vais te dire tout de suite de quoi il s’agit. »
     Il ne semble pas qu’Arvid se fût montré particulièrement disposé à écouter. Mais Karl expliqua tout de même :
     « J’ai acheté un billet de train pour Riga, mais je suis dans l’impossibilité d’y aller et je te demande aujourd’hui de partir à ma place. Voilà, c’est tout. »
     Cette proposition ne suscita pas chez Arvid un enthousiasme démesuré. Plusieurs questions lui vinrent à l’esprit. La première qu’il posa fut celle-ci :
     « Pourquoi moi ?
     — Tu es mon ami et tu es toujours prêt à rendre service. Et puis tu vis seul.
     — Tais-toi. Que vont dire ma femme et mes enfants ?
     — Ne fais pas l’idiot. Tu n’as ni femme ni enfants.
     — Mais ma fiancée ?
     — Les petites séparations renforcent les sentiments.
     — Mais tu sais bien que je n’ai jamais aimé les voyages.
     — C’est bien pour cela que je te demande. Dans le cas contraire, j’aurais commencé en disant : cher ami, j’ai eu la possibilité de t’organiser un voyage à Riga.
     — Et que devrai-je faire à Riga ?
     — Ce que tu veux. Tu aviseras toi même quand tu y seras. Tu vois, je ne te surcharge pas d’obligations.
     — Mouais, dit Arvid, pensif. Mais alors pourquoi faut-il que j’y aille ?
     — Parce que sinon le billet serait perdu.
     — Et pourquoi devais-tu y aller, toi ?
     — Pour être tout à fait franc, je ne le sais pas précisément. J’ai eu tout d’un coup le sentiment que je devais aller à Riga. Au début, j’ai essayé de résister, mais le sentiment persistait, alors j’ai fini par céder.
     — Et où est-il passé, maintenant, ce sentiment ?
     — J’ai acheté le billet longtemps à l’avance. Entre temps, il s’est passé des tas de choses.
     — Je vois, et pourquoi ne peux-tu pas partir toi-même ?
     — Je le pourrais peut-être, mais à présent j’ai un sentiment contraire, qui me dit qu’il ne faut pas que je parte.
     — Comment cela ? Le sentiment d’un danger ?
     — Non, pas vraiment. J’ai simplement l’impression que ce serait aller au-devant d’aventures dont je n’ai pas besoin.
     — Je vois, je vois, mais ton vieil ami, lui, tu peux l’envoyer vers les dangers et les aventures, pas vrai ?
     — Non. En ce qui te concerne, je ne pressens rien de semblable. Toi, tu peux partir sans crainte. Et même s’il t’arrive quelque chose, tu n’en subiras aucun dommage.
     — Voilà un véritable ami ! Pourquoi ne vas-tu pas simplement te faire rembourser le billet ?
     — Maintenant que le billet est acheté, il faut que le voyage se fasse. Nous nous sommes toujours compris, toi et moi. Je n’ai pas besoin de te faire un dessin. »
     Il y eut un long silence. À moins qu’il ne s’agisse d’une défaillance momentanée du micro. Arvid dit enfin :
     « Non, mon vieux. Fais-le toi-même, ton voyage à Riga. Si tu veux, mes pensées t’accompagneront, mais rien de plus.
     — Écoute, Arvid, vieux frère, je te parle sérieusement. Je sais ce que je dis. Ce n’est pas une proposition en l’air, comme ça, sans raison… »
     D’après les craquements qui suivirent, on peut penser que la discussion dura encore un certain temps. Aujourd’hui encore, on ne sait pas précisément qui a fini par faire le voyage.
     La police judiciaire prétend, en s’appuyant sur des preuves solides, que Karl Beuve est parti en personne. Mais le biographe d’Arvid Silber, Ontogène, suppose en se fiant à son intuition que le voyageur était Arvid. L’intuition étant, en règle générale, plus fiable que les preuves, il convient de se rallier au point de vue d’Ontogène. Pour ce qui est de notre récit, il importe évidemment peu de savoir lequel des deux a fait le voyage, ni même d’ailleurs si quelqu’un a réellement fait le voyage, l’essentiel étant que les événements eux-mêmes ont pu être observés. Appelons donc le voyageur Arvid.
     Il retourna chez lui, mit dans sa sacoche son rasoir électrique et une serviette éponge, se rendit à la gare un peu avant minuit et monta dans le train.
     Il était seul dans le compartiment. Il donna son billet au conducteur, fit son lit et se coucha aussitôt. Il n’oubliait pas qu’il pouvait être entraîné dans des aventures et pensait que le sommeil était le meilleur moyen d’échapper aux événements indésirables.
     En dormant, on perdait toute notion du temps. On frappa bientôt à la porte du compartiment. Arvid sortit un pied de dessous la couverture et poussa la porte.
     Sur le seuil se tenaient deux jeunes et belles Tziganes. L’une était mince, l’autre avait un visage rond. Arvid ne chercha pas à savoir si elles avaient des réservations pour ce compartiment. Il leur tourna le dos et tira la couverture sur sa tête.
     Les Tziganes s’assirent sur la banquette d’en face en étalant largement leurs sept jupes et commencèrent à gazouiller. Alors qu’Arvid ne faisait plus attention à elles, elles se mirent à lui donner de petits coups.
     D’un bond, Arvid se mit sur son séant.
     La grande Tzigane mince lui dit : 
     « Vous, venir avec nous. Après Valga, le train avoir grave accident. Grosse catastrophe. »
     Arvid voulut savoir : 
     « Pourquoi avez-vous choisi de me sauver moi ? »
     « Ne pose pas de questions. Fais vite ! » dit la belle Tzigane ronde aux yeux brûlants.
     Arvid s’habilla rapidement. Les Tziganes regardaient sans la moindre gêne cet homme à la peau blanche. Arvid prit sa sacoche et suivit les jeunes femmes qui prirent la direction de la porte.
     « Et mon billet ? se souvint-il.
     — Laisse-le où il est, dit la belle dodue.
     — Je ne peux pas, c’est un héritage de mon ami. Le seul souvenir de mon cher disparu.
     — Va le demander alors. On t’attend dans le tambour, dit la jolie mince.
     Arvid frappa à la porte du conducteur. Personne ne répondit. Il ouvrit la porte. La cabine était vide. Il inspecta les lieux, puis ouvrit le placard du haut, dans lequel il trouva un porte-documents noir à compartiments. Il y prit son billet et le mit dans sa poche.
     Au premier arrêt, il descendit du train avec ses Tziganes. Plusieurs autres voyageurs descendaient dans cette petite gare. On entendait des conversations en plusieurs langues.
     Les Tziganes dirent à Arvid : 
     « Marche entre nous deux. »
     L’une marchait devant lui, l’autre le suivait. Ils traversèrent cette petite bourgade du sud de l’Estonie. Arvid n’avait pas eu le temps de lire le nom de la gare.
     Les voyageurs qui étaient descendus du train se dispersaient de tous côtés. Des bruits de pas venant de plusieurs directions résonnaient encore dans le silence de la nuit.
     Les Tziganes emmenèrent Arvid hors de l’agglomération. Il ne distinguait pas s’ils se trouvaient à présent dans une forêt ou au milieu des champs.
     « Voilà, maintenant nous sommes hors de danger », dit l’une de ses accompagnatrice, et au même instant elles disparurent, comme si la terre les avait avalées.
     Arvid savait qu’il était dangereux de s’éprendre d’une jeune Tzigane. Il appela pourtant à mi-voix :
     « Hé, où êtes-vous ? Je veux rester avec vous ! »
     Personne ne lui répondit et Arvid se sentit mal à l’aise en entendant sa propre voix résonner dans ces ténèbres silencieuses. Il écarta les bras et essaya de tâter ce qui l’entourait, mais il ne rencontra rien.
     La seule solution était de retourner à la gare et d’attendre le train suivant. Heureusement, il avait un billet — pour le train précédent, il est vrai.
     Le chemin du retour n’était pas facile à trouver. Les quelques maisons que l’on voyait tout à l’heure au bord de la route avaient à présent leurs fenêtres éteintes. On entendit le sifflement lointain d’une locomotive, un seul coup bref, qui venait vraisemblablement de la gare voisine.
     Arvid laissa errer son regard autour de lui. Il aperçut enfin une lumière rougeâtre et commença à marcher dans sa direction, trébuchant sur la terre séchées des labours, les tiges acérées et les touffes d’herbe.
     Il arriva finalement près d’une longue maison de bois. La lumière rougeâtre venait d’une petite fenêtre. Il ne semblait pas y avoir de porte de ce côté-ci de la maison. Arvid entreprit de passer de l’autre côté en contournant la remise attenante, qui avait de hauts murs en pierre de pays. Il dut traverser des orties dans lesquelles se dissimulaient de vieilles jantes métalliques rouillées.
     Devant la maison se trouvait une barre en bois, à laquelle étaient attachés quelques chevaux. Arvid pouvait sentir l’odeur douceâtre des bêtes et de l’avoine mastiquée.
     Il fit jouer le loquet de la porte et entra dans une vaste pièce au plafond bas et aux poutres couvertes de suie. Au milieu de la salle se trouvait une longue table, et dans un renfoncement du mur se tenait un homme au visage épaté, qui devait être le patron de la taverne. Un fermier était accroupi sur la table et regardait entre ses jambes en direction d’Arvid.
     « Bonjour la compagnie ! dit Arvid.
     — Bonjour ! » lui répondit le tavernier. Les fermiers ne lui adressèrent pas même un borborygme. Le visage rouge, ils regardaient d’un air fasciné  leur collègue accroupi.
     On entendit bientôt un bruit sourd.
     « Regardez, il l’a pondu, son œuf ! » cria l’un des fermiers.
     Arvid se rapprocha. Sous le derrière de l’homme se trouvait un œuf beige, gros comme la tête d’un enfant. Arvid le prit dans ses mains, il était encore chaud. Il le secoua et le colla contre son oreille. Il n’entendit qu’un léger bourdonnement, qui provenait peut-être de son oreille même.
     Le fermier sauta à terre. Quelqu’un demanda :
     « Maintenant, dis-nous comment tu as fait !
     — Ne me pose pas de questions. À chacun son secret. »
     Les fermiers vidèrent leur chope et parurent oublier aussitôt ce qui venait de se passer. Arvid tenait encore l’œuf dans ses mains. Il finit par demander :
     « Qu’est-ce qu’il faut faire, maintenant, avec cet œuf ?
     — Tu peux le garder si tu veux », dit l’homme qui, quelques instants plus tôt, était accroupi sur la table, en paraissant se désintéresser totalement de la question.
     Arvid ouvrit sa sacoche, prit sa serviette éponge, en enveloppa l’œuf et remit le tout dans la sacoche.
     « Si monsieur veut de la bière… », proposa le tavernier qui voulait placer sa marchandise. 
     Arvid hésita un instant, puis il dit :
     « Merci, mais je ne bois pas. J’ai un voyage difficile devant moi. »
     Le tavernier lui fit signe d’approcher et demanda :
     « Quel est donc ce voyage qui nous amène ce visiteur inattendu ?
     — Est-il nécessaire de tout expliquer ? répondit Arvid, esquivant la question. 
     — Pourquoi ce voyage est-il difficile ?
     — Imaginez vous-même. Je fais ce voyage à la place de quelqu’un d’autre.
     — Alors pourquoi ne pas boire aussi la bière à sa place ?
     — Je préférerais manger quelque chose. Vous avez des haricots ?
     — On peut en trouver. »
     Le tavernier s’absenta un certain temps dans l’arrière-salle, puis revint avec des haricots fumants. Ils étaient cuits au beurre et dégageaient un fumet fort appétissant. Arvid s’assit au bout de la longue table, écarta les chopes vides ou à moitié pleines qui s’y trouvaient et commença à manger ses haricots.
     Jetant de petits regards en direction du tavernier, il versait, toutes les deux ou trois bouchées, une partie des haricots dans sa sacoche, posée à côté de lui sur le banc.
     Il ramena ensuite son assiette vide au comptoir.
     « Merci. Je dois partir, maintenant.
     — En pleine nuit ? Mais pour aller où ? Que monsieur passe au moins la nuit ici. Demain matin : bon pied, bon œil, le regard portera plus loin. »
     Arvid regarda autour de lui en se demandant où pouvait bien se trouver le lit.
     Le tavernier prit une chandelle, protégea la flamme du courant d’air et dit : 
     « Si monsieur veut bien me suivre… »
     Franchissant une porte basse, ils pénétrèrent dans le séchoir, puis, de là, dans une petite niche d’où partait un escalier en colimaçon. Ils montèrent le long escalier et débouchèrent sur un plancher nu. Leurs pas résonnèrent sur les planches. Près du mur se dressait une échelle. Le tavernier commença à gravir les barreaux. La chandelle éclairait mal. Pour une vieille ferme en bois, l’ascension paraissait excessivement longue.
     Ils arrivèrent à nouveau sur le plafond de quelque corps de bâtiment. De là partait un nouvel escalier.
     Le guide ouvrit enfin une petite porte blanche et laissa Arvid entrer le premier. Celui-ci, prudent, tâta le sol du pied avant d’entrer. Ce n’était pas un précipice, mais une petite chambre romantique, qui aurait pu appartenir à quelque jeune fille noble du dix-huitième siècle. Les murs étaient tendus d’une étoffe de soie à motifs roses. La table, l’unique chaise et même le lit avaient des pieds minces et recourbés. Les meubles étaient blancs, le couvre-lit fait d’un lourd tissu de soie, et sur la table se trouvait un carnet de poèmes à la couverture dentelée.
     « Je vous laisse la chandelle ? Pensez simplement à la souffler avant de vous endormir.
     — Comment allez-vous faire pour redescendre ?
     — Je connais le chemin. »
     Le tavernier plaça la chandelle sur un chandelier posé dans une petite niche ronde.
     « Bonne nuit.
     — Comment je… ? » voulut demander Arvid, mais il ne termina pas sa phrase. La chambre était vraiment charmante.
     « Bonne nuit. »
     Le tavernier se retira. Arvid crut entendre un bruit de verrou qu’on tire, mais peut-être n’était-ce pas cela. Tous ses muscles se tendirent, mais il n’osa pas aller vérifier immédiatement la porte. Il le fit seulement plus tard, lorsque le dernier écho des pas du gros aubergiste se fut évanoui.
     Arvid entrebâilla la porte, qui s’ouvrit sans difficulté. Derrière elle, l’obscurité était totale. Il aurait bien voulu qu’il y ait un verrou à l’intérieur.
     La flamme de la chandelle s’agitait, comme effrayée, et menaçait de s’éteindre. Arvid essaya de garder son calme. Il s’approcha de la chandelle, entoura la flamme de ses mains et chuchota : « Tout doux, ma belle, tout doux. » 
     Une terrible envie de dormir fondit soudain sur lui. Dans un dernier sursaut d’attention, il aperçut un cadre doré de forme ovale, dans lequel se trouvait soit une fenêtre soit un miroir. Il souleva le couvre-lit de soie : celui-ci était posé directement sur les planches non rabotées du sommier. Il n’avait plus le temps de chercher un matelas. Il eut tout juste la force de souffler la chandelle et s’effondra sur le lit.
     Il avait peut-être dormi une heure ou deux lorsqu’il s’éveilla, frais et dispos, avec une idée en tête : il devait à présent déchirer les draps en lanières, descendre de la tour et s’enfuir. Mais voilà, il n’y avait pas de draps.
     Arvid leva la tête. La première chose qu’il vit fut sa sacoche à côté du lit. Il se souvenait vaguement de l’avoir oubliée en bas, sur le banc de la taverne, lorsqu’il était allé rapporter son assiette au comptoir.
     Il se leva. Dans le cadre doré, il vit à la fois son propre visage et un fragment de paysage d’Estonie du sud. Mais quelle importance cela pouvait-il avoir ? Il prit sa sacoche et sortit. Dans le passage aux murs doublés de planches se trouvaient deux portes. Il ouvrit celle de gauche. Elle donnait sur l’extérieur, de façon tout à fait normale, au niveau du sol. Il y avait simplement deux marches en ciment. Il s’était passé la veille au soir, avec les hauteurs, quelque chose d’incompréhensible. Mais à quoi bon se soucier de cela, alors qu’un matin radieux régnait sur ce paysage couvert de rosée ?
     Arvid renversa la tête en arrière et se mit à rire. De quoi ? Il n’aurait su le dire. Peut-être de lui-même.
     Il retourna dans la chambre de jeune fille, qui à présent ne lui paraissait plus aussi romantique, posa un billet sur la table aux pieds recourbés et pénétra dans le matin. 
     Il se mit à marcher en espérant retrouver la petite bourgade. Son pantalon fut bientôt mouillé jusqu’aux genoux. Le matin avait ici ses particularités. Je dois aller à Riga, pensait-il. Était-il arrivé ou non quelque chose au train de la veille ? 
     Peut-être aurait-il pu s’enquérir de l’accident du train auprès du tavernier. Mais il n’allait pas faire demi-tour pour cela.
     Arvid se frayait un chemin en dehors de tout sentier. Aucune bourgade n’était en vue. Il marcha, sans regarder derrière lui, jusqu’au moment où, traversant des broussailles basses, il arriva de façon inattendue au bord du remblai d’une voie ferrée. (…)

Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin