Le collet
par Émergeant des bosquets de bouleaux entre lesquels serpentait le sentier, l’homme arriva sur un vaste terrain découvert et constata que le chemin se séparait en une vingtaine de ramifications …
par Auteur/autrice : Arvo Valton
Arvo Valton (né en 1935) a passé son adolescence en déportation, dans plusieurs villages de Sibérie. Revenu en Estonie à l’âge de dix-huit ans, il fait ses études à l’Institut polytechnique de Tallinn, puis exerce pendant quelques années le métier d’ingénieur, tout en étudiant l’écriture de scénarios à l’Institut cinématographique de Moscou.
Son premier recueil de nouvelles, Un étrange désir (1963), s’intéresse à des gens simples — ouvriers, secrétaires, conducteurs de tramway — saisis avec tendresse et humour dans leurs activités quotidiennes.
Sans délaisser complètement cette veine réaliste, il s'oriente peu à peu, à la fin des années soixante, vers une prose d’une originalité radicale, recourant notamment à l'absurde et au grotesque pour composer des paraboles philosophiques tour à tour inquiétantes et humoristiques. Une des illustrations les plus riches de cette manière est son roman en nouvelles, Les voyages d’Arvid Silber (1984), où le personnage principal retrouve, lors de dix voyages fantastiques, une même femme qui se présente à lui sous les apparences les plus diverses. Nombre de ses nouvelles, comportant des charges contre le régime, sont interdites par la censure. Mais les textes qui passent le barrage sont loin d'être innocents, et dans la description d'un ailleurs indéterminé — villes étranges, époques lointaines, où des individus se heurtent à un monde dont le sens leur échappe — il faut souvent savoir lire en filigrane une satire féroce de la société soviétique. Les nouvelles d'Arvo Valton ont joué un rôle considérable dans son pays pendant les temps difficiles de la «stagnation», en incarnant, face au régime brejnévien, la liberté de l'esprit et la dénonciation du totalitarisme.
Écrivain aux multiples facettes, Arvo Valton s'est également essayé au genre historique avec son premier roman, À l’autre bout de l'Infini (1978), consacré aux campagnes de Gengis Khân et aux rencontres entre le souverain mongol et le sage chinois Chang Chong. En 1989, il a apporté une volumineuse contribution à la littérature de la déportation avec La détresse et l'espérance, évocation panoramique du destin des Estoniens en Sibérie. Son roman Lisa et Robert (1993), pendant réaliste et « féminin » des Voyages d’Arvid Silber, étudie à travers les fantasmes d’une femme les difficultés des relations entre les sexes. -- AC
par Dans une ville étrangère
par Il était arrivé dans une ville étonnante. Déserte et sans aucun caractère. Des maisons se dressaient en bordure des rues et de rares passants marchaient en silence le long des trottoirs …
Le porteur de flambeau
par L’homme avait froid. Le drap qui le recouvrait était trop mince pour lui tenir chaud. Il sentait au-dessous de lui une surface froide et dure. Il se recroquevilla et essaya de protéger son corps avec ses bras, mais cela ne suffisait pas …
Miniatures extraites du recueil «Moi moi moi»
par Un jour, j’ai dessiné un animal.
Je ne savais pas ce que c’était.
Les amis à qui j’ai montré ce dessin ne le savaient pas non plus.
Nous étions tous un peu préoccupés par cet animal …
Groupe de pression
par Peeter Veiss, fonctionnaire de l’Union européenne, était convoqué à une rencontre avec une délégation extérieure. Comme ce ressortissant de la petite Estonie n’était qu’un agent subalterne d’une obscure commission, cette convocation avait été une surprise aussi bien pour lui que pour ceux qui le connaissaient …
Concours de flexibilité
par Un matin, en se réveillant, Viviane eut soudain l’impression que quelque chose d’étrange se produisait en elle. Elle examina l’index de sa main gauche, le prit ensuite calmement dans sa main droite et le noua …
L’homme au sac à dos vert
par Vers midi, un homme de haute taille, vêtu d’un costume défraîchi et d’une cravate, arriva dans la salle d’attente de la gare. Il s’avança à travers les rangées de voyageurs et alla se placer dans le coin le plus reculé …
Lisa et Robert
par Lisa, debout près des lourds voilages du rideau, fit un mouvement imperceptible et regarda dans la cour. Toujours rien en vue, rien que les graviers de l’allée — qui ne révélaient aucun passage — et les buissons qui, battus par la pluie, penchaient tristement la tête.
Une énième fois‚ pour s’assurer de sa beauté et vérifier la correction de sa mise, elle alla se contempler dans un miroir richement encadré. Elle avait l’impression que cette attente, qui se prolongeait indéfiniment, nuisait à son apparence et qu’elle devait sans cesse veiller à se rajuster.
La maison était silencieuse. La famille était partie en voyage sans elle …