Tombeaux sans croix

Le village sommeillait dans la paix dorée d’un après-midi d’automne. La mousse, recouvrant presque entièrement les toits de chaume, verdoyait après les récentes pluies. Les bouleaux, dans les enclos, perdaient leurs feuilles jaunies, et les érables, de place en place, découpaient leurs flammes rouges sur le fond sombre de la forêt de pins. C’était au début d’octobre 1944. À cette époque de l’année, jadis, dans les temps heureux, les batteuses tournaient du matin au soir ; on engrangeait le blé, et les chariots de pommes de terre se succédaient aux portes des celliers.

Périphéries

Le lendemain matin nous devions nous mettre en route. Le réveil était réglé sur six heures quarante-cinq. Une heure peu agréable, mais rien à faire. Fin décembre et matin noir d’encre …

Autobiographie : les deux premières semaines

Alors que tante Mari (comme l’appelaient certaines de ses jeunes collègues estoniennes) approchait du service d’obstétrique de l’hôpital numéro un de Tallinn, où elle travaillait comme infirmière depuis environ deux ans, un vent violent se leva soudain …

Le monument

J’allumai une cigarette, me collai béatement la nuque au dossier du fauteuil et fermai les yeux. Je me souviens d’avoir articulé à mi-voix :
– Et Jéhovah, ayant élu Jacob, l’éleva au-dessus des autres. Gloire au Puissant Jéhovah ! Amen.
La cigarette avait un goût exquis, voire un peu enivrant : pendant les deux heures que les frotteurs de parquet occupaient les lieux, je m’étais entêté comme un gosse à refréner mon envie de fumer …

La beauté de l’Histoire

Vers le soir, le ciel monte plus haut et prend sa véritable forme. Se change en voûte et en coupole. Recouvre de son étrange et menaçante évidence les bureaux de conscription, les postes de la milice et les services des passeports. Pour qui demeure sous cette voûte, il n’y a point d’issue. Elle recouvre le monument du Roussalka à Tallinn comme les quais de gare et les viaducs de chemin de fer à Riga. Les champs de pommes de terre et les vergers de pommiers comme les casernes et les postes-frontière …

Le septième printemps de la paix

Dans les grandes maisons grises, au bord du chemin, avaient habité les koulaks. Ils avaient caché leur or dans les pieds des lits de fer. La patronne d’une de ces fermes s’était même pendue à un pied de lit. Et l’on voyait encore traîner, dans les orties, quelques sommiers démantibulés.
Le seau cliquetait dans les mains de ma mère. Nous allions cueillir des sorbes. Elle voulait en remplir un plein seau et en faire de la confiture pour l’hiver. Même Mann, la femme d’Orri-Ants, faisait de la confiture de sorbes …

La dame rococo

Elle passa encore une fois devant notre fenêtre, vêtue d’un ensemble marron à taille marquée dont la veste s’évasait sur les hanches en volants bouillonnants …